Les romains & la construction Pro web bâtiment

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Plusieurs images s’opposent et se complètent dans l’image du romain : d’abord celle du soldat, conquérant, administrateur, peux amène à s’émouvoir de l’art; d’autre part celle de l’esthète, amateur d’art, collectionneur; ensuite celle de l’homme pratique, ingénieur, technicien, constructeur et planificateur. L’un ne fonctionnant sans l’autre, la capacité romaine de mettre en place et de gérer des chantiers d’une grande complexité conduira à la construction de grand ensembles urbanistiques, à la généralisation des aqueducs, à la construction de chefs-d’œuvre comme le Panthéon.
256px-pantheon-panini-7392313 Intérieur du Panthéon au xviiie siècle, avec le décor d’origine, par Giovanni Paolo Panini

L’expression « travail de Romain » nous est restée désignant une tâche, un travail difficile, une œuvre énorme et considérable20. Les Romains excelleront dans les techniques d’ingénierie (l’emploi massif de l’ opus caementicium, sorte de béton maçonné entre des parements de briques (opus latericium)), de la construction, ainsi que les machines (les machines de levage, les machinatio de Vitruves)

L’artisan romain quoique souvent méprisé parviendra à se distinguer dans la sculpture, la peinture ainsi que dans l’art de la mosaïque.

La Rome étrusque. La Rome grecque Mais si le Romain n’avait pas le génie créateur, il avait un sentiment très-vif du beau et du grand; les Étrusques le lui avaient légué, c’était devenu le propre de son génie. Quand les guerres samnites et puniques lui eurent donné Tarente, Capoue, Syracuse, l’Italie méridionale et la Sicile, avec les merveilleux chefs-d’œuvre que les artistes grecs y avaient semés, ce rude soldat se sentit subjugué pour la première fois21. Mais reconnaître une supériorité, avouer une impuissance, n’était pas dans sa nature. Le Romain était un esprit pratique; son parti fut bientôt pris. Il dépouilla les provinces conquises au fur et à mesure de la conquête, et transplanta à Rome les productions de leur génie. Pendant deux siècles entiers, de -266 à -62, la Grande-Grèce, la Sicile, Athènes, Corinthe, la Grèce entière, la Macédoine, l’Asie mineure envoyèrent tour à tour à Rome leurs trésors sur les chars des triomphateurs : avec Scipion l’Asiatique, l’argenterie ciselée, les tapisseries, les bronzes; avec Mummius, les marbres, les corinthes, les peintures; avec Pompée, les perles et les pierreries. À leur suite arrivèrent les artistes, les uns captifs, les autres mandés à Rome pour des travaux d’embellissement. L’art grec émigra tout entier et se naturalisa romain; Rome avait absorbé Athènes. Ce n’était pas encore assez pour l’amour-propre du vainqueur. Il sentait en lui-même, sans l’avouer, la supériorité des Grecs; il ne sut jamais le leur pardonner. De là, ce superbe dédain dont l’écho se répète jusque sous les Empereurs.

Damophile, Gorgas, Timomaque, Arcésilas, Pasitélès et tant d’autres, furent appelés de Grèce à Rome par César, par Lucullus, etc. La disette des artistes devint telle en Grèce qu’il ne se trouva pas, dans Athènes même, un architecte pour terminer le temple de Jupiter olympien, et qu’on dut en faire venir de Rome

256px-roman_fresco_villa_dei_misteri_pompeii_006-9370448Intérieur de la villa des Mystères à Pompéi ►

« Rome eut, dès la plus haute antiquité, quelques collèges ou corporations ouvrières dont l’organisation semble avoir été contemporaine de ses premières institutions politiques et religieuses. Pline et Plutarque les font remonter au règne de Numa(-715,-673); Florus les attribue à Servius Tullius, et un passage de Denys d’Halicarnasse prouve qu’au temps de Tarquin le Superbe(-543,-509) ces associations particulières étaient déjà assez puissantes pour se rendre redoutables à la tyrannie.. Elles avaient leurs chefs, leurs assemblées, leurs règlements; elles fournissaient à leurs dépenses par des contributions volontaires, et, à certaines époques, les membres d’un même collège, unis sous le nom de sodales, se rassemblaient autour d’un autel commun ». Les collèges avaient chacun leur divinité, leurs fêtes sacrées. Servius Tullius (vie siècle av. J.-C.) renversa la vieille constitution aristocratique de Romulus. Il accorda aux artisans quelques privilèges politiques. Les artisans n’avaient pas de place dans la curie, ils en auront dans les classes qui formaient une organisation politique et militaire. Des forgerons et des charpentiers furent ainsi intégré, et rien n’empêche de croire qu’ils purent voter au Champ de Mars, à côté des riches citoyens auxquels ils étaient adjoints. Ces mesures furent annulée par le successeur de Tullius, puis rétablies par la loi des Douze Tables. Toutefois, Rome, patricienne et guerrière, ne pouvait être favorable au développement de l’industrie. Denys d’Halicarnasse affirme en parlant des premiers temps de la république, qu’il n’était pas permis à aucun romain de se faire marchand ou artisan. Plus tard, au milieu de la corruption de l’empire, Sénèque s’indignait encore qu’un écrivain eût osé attribuer aux philosophes l’invention des arts. « Elle appartient, s’écrie-t-il, aux plus vils des esclaves. La sagesse habite des lieux plus élevés: elle ne forme pas les mains au travail ; elle dirige les âmes… Encore une fois, elle ne fabrique pas des ustensiles pour les usages de la vie. Pourquoi lui assigner un rôle si humble ?

Rome fut donc dans un premier temps une nation sans industrie. Tite-Live nous apprend que, pour construire le temple de Jupiter (vers -500), Tarquin le Superbe fut obligé de faire venir des ouvriers d’Étrurie.

256px-maisoncarrc3a9e-3479466Maison Carrée – 1er siècle

Par la suite de ses conquêtes, Rome s’enrichit du commerce. L’artisan dû affronter la concurrence des esclaves. Régulus n’avait qu’un seul serviteur pour l’aider à cultiver sa terre, et la plupart des patriciens vivaient, de son temps, dans la même simplicité. Cent cinquante ans après, à l’époque de la Deuxième Guerre servile vers -104, quatre cents esclaves sortaient armés de la maison d’un simple chevalier romain. Le plus grand nombre formait une classe d’ouvriers dont les propriétaires exploitaient le travail, vendaient les produits ou louaient même les services. Ils avaient sur les artisans libres deux avantages qui les firent préférer : ils étaient plus dociles, parce qu’on pouvait les instruire, les châtier et, jusqu’au siècle des Antonins, les mettre à mort à son gré; leur main-d’œuvre revenait moins cher, parce que le maître ne leur devait et ne leur donnait souvent que la nourriture. Chacun composait sa maison selon ses goûts. Crassus qui faisait bâtir avait des ouvriers et des architectes. Ainsi les artisans esclaves se substituèrent aux artisans libres dans les villes et dans les champs. « Ainsi les classes ouvrières, organisées en collèges, étaient, depuis les premiers temps de Rome, méprisées et suspectes. Humbles et faibles depuis Numa jusqu’aux guerres puniques, parce que Rome n’avait pas de commerce ; puis étouffées et avilies par la concurrence des esclaves ; poursuivies par le sénat, parce qu’elles étaient devenues l’asile de tous les misérables et l’espoir de tous les séditieux, elles furent encore, après la chute de la République et la fin des troubles civils, redoutées et proscrites pendant plus d’un siècle par les empereurs Jusqu’au jour où ils sentirent la nécessité de recourir à ces mêmes collèges pour soutenir l’industrie languissante. »

Les collèges d’artisan dans la Gaule romaine

Avant que Rome n’envahisse la Gaule de -58 à -51, l’art architectural est malheureusement difficile à appréhender car il n’a pas survécu aux années, les Gaulois construisant essentiellement en bois et torchis. La Gaule conquise ne fût pas longue à se faire à la paix romaine et entretint très vite des rapport commerciaux avec Rome. L’industrie devint florissante et la Gaule s’enrichit. Les arts n’étaient pas plus négligés que les travaux manuels. Les monuments tels le pont du Gard, l’arc d’Orange, le théâtre antique d’Orange, la maison Carrée, le temple de Diane et les arènes de Nîmes, le théâtre et les arènes d’Arles, la porte de Mars à Reims en attestent. Les maisons les plus modestes se revêtirent d’une couche de peinture ; on vit s’élever de toutes parts des portiques, des arcs de triomphe, des cirques, des théâtres, des thermes, des temples. Les proportions furent, en général, nobles et gracieuses; l’ornementation riche sans profusion. Les années qui séparent Trajan des trente tyrans marquèrent l’époque la plus brillante de l’architecture gauloise. Les villes gauloises avaient, comme Rome, des artisans esclaves, des maîtres exploitant pour eux-mêmes ou louant à d’autres le travail de nombreuses familles. Elles avaient aussi des artisans libres qui s’y étaient, comme à Rome, organisés en collèges. L’esclavage ne paraît même pas avoir exercé sur eux une influence aussi funeste qu’en Italie, parce qu’en Gaule la population servile ne fut jamais aussi nombreuse. Les collèges y étaient, par conséquent, moins turbulents et moins méprisés, et les artisans, vivant dans leurs associations sous la loi romaine, sans être sous le coup de la réprobation qui les frappait à Rome, contribuèrent pour une large part à la grande prospérité du pays.

Développement des collèges

Le premier empereur qui se montra favorable aux associations ouvrières, fut Sévère Alexandre (222 à 235).. Dans l’intérêt du commerce et de l’approvisionnement de Rome, il établit dans la ville un grand nombre de fabriques; pour y attirer les marchands, il leur accorda les privilèges les plus étendus. Enfin il organisa en collèges les marchands de vins, les marchands de légumes, les cordonniers et tous les métiers en général. Il fit plus : il leur donna une sorte de constitution municipale en mettant à leur tête des défenseurs tirés de leur sein, et en réglant la juridiction à laquelle ressortiraient leurs procès. Dès le troisième siècle, on les classes ouvrières partout formées en collèges et partagées pour ainsi dire en trois groupes dont les membres jouissent d’autant moins de la liberté individuelle qu’ils ont avec l’État des rapports plus intimes. Ces trois groupes comprennent les manufactures de l’État, les professions nécessaires à la subsistance du peuple et les métiers libres.►

Les ingénieurs de l’époque romaine disposent d’instruments qui exploitent des connaissances scientifiques acquises anciennement. Elles acquièrent leur pleine efficacité grâce à la capacité romaine de mettre en place et de gérer des chantiers d’une grande complexité. Héritiers et les continuateurs des rois hellénistiques successeurs d’Alexandre et fondateurs de villes, les Empereurs romains s’appuient sur le même personnel d’architectes et d’ingénieurs. Mais ils en élargissent le champ d’intervention à l’ensemble de l’Empire.
Les grands progrès accomplis dans l’art de construire sont mises en œuvre dans les grands chantiers urbains des cités provinciales à l’imitation de ceux de la ville de Rome. La construction d’aqueducs en bénéficie au même titre que toutes les activités du bâtiment. Ainsi la construction des ouvrages d’art que sont les ponts d’aqueducs n’aurait pu être menée à bien sans la mise au point du système de la voûte clavée « à poussée ». « L’honneur revient aux architectes romains de l’époque tardo-républicaine, d’avoir osé libérer la voûte qui n’était qu’un trou dans une masse pour en faire un volume à l’air libre ».

Usage de la chaux par les romains

Dès le III ème siècle av. J.-C., Rome préconise l’emploi de chaux dans les mortiers. La chaux est obtenue par calcination de pierre calcaire vers 1000°C, dans des fours à chaux, opération pendant laquelle elle abandonne son gaz carbonique. Le produit restant, un oxyde de calcium est appelé chaux vive et prend l’apparence de pierres pulvérulentes en surface que l’on va hydrater ou éteindre par immersion dans l’eau. Cette immersion, provoque la dislocation, un foisonnement, ainsi qu’une forte chaleur. Le résultat est une pâte, qui prend le nom de chaux éteinte. C’est ce matériaux plastique, qui mêlé à des agrégats va constituer les mortiers. Une fois incorporée dans la maçonnerie, un phénomène de cristallisation – en fait une carbonatation – s’opère au contact de l’air – et plus particulièrement le dioxyde de carbone présent dans l’atmosphère qui fait retourner la chaux à l’état de calcaire. L’extinction de la chaux se faisait de préférence dans des fosses attenantes au chantier. La présence d’argile comme d’autres corps, pouvant modifier la phase d’extinction, les Romains supposèrent, de manière erronée, que ces substances diminuaient la qualité de la chaux. Les romains n’utilisèrent donc que de la chaux aérienne. Cet état de connaissance perdurera jusqu’au xixe siècle. En 1863, il suffisait d’interroger les maçons et chaufourniers sur les diverses chaux du pays pour qu’ils désignent les chaux hydrauliques comme les plus mauvaises. Il fallait insister pour qu’ils en fassent mention. Les chaux hydrauliques sont alors recherchées activement car on connaît désormais leur propriétés exceptionnelles La chaux grasse entreposée et recouverte d’argile pouvait se conserver fort longtemps, à l’état de pâte, des années éventuellement. Cette caractéristique accompagnait donc les chaux grasses obtenues à partir de calcaires très pures, les marbres par exemple et était très prisée des romains car elle permettait aux maçonneries à mesure qu’on les élèves, de se tasser progressivement, assurant au niveau du joint une répartition uniforme des efforts. Vers le ier siècle après J-C, la Rome antique améliore la technique de la chaux par l’incorporation de sable volcanique de Pouzzoles – la pouzzolane – ou de tuiles broyées. Comme le dit Vitruve dans son De architectura (Livre II, Chapitre 6), le mortier peut résister à l’eau et même faire prise en milieu très humide. Cette vertu est due à la présence d’une grande quantité de silicate d’alumine. En ajoutant à la chaux aérienne de la pouzzolane ou des tuileaux, on la transforme artificiellement en chaux hydraulique. Ce n’est qu’en 1818 que Louis Vicat expliquera les principes de cette réaction, dans sa théorie de l’hydraulicité27 ouvrant la voie à la découverte du ciment Portland.

La grande quantité de maçonnerie de qualité qui ont subsisté ne saurait masqué la grande quantité de maçonneries médiocres qui ont disparu. Toutefois La préparation des mortiers romains fera l’objet d’une grande admiration, souvent teintée de secret technique jamais dévoilé.

L’opus caementicium

L’autre secret de la réussite romaine est la maîtrise acquise dans la confection de l’opus caementicium. Ce conglomérat réalisé dans le meilleur des cas à partir d’un mélange de mortier de chaux et de tout venant, les caementa, coulé dans un coffrage en bois ou entre deux parois de petit appareil, permet de réaliser les volumes considérables de maçonneries des aqueducs, ponts, basiliques, etc.. Un système constructif performant, économique, rapide ne nécessitant aucune qualification de la main-d’œuvre, une bonne partie des matériaux étant employés sans préparation préalable. La qualité des mortiers permet de réaliser une voûte qui, la prise terminée et le cintre retiré, se comporte comme « un monolithe dans lequel on a creusé un volume », la « voûte concrète». L’opus caementicium a vu son parement évoluer en fonction de la disponibilité de matériau et de l’évolution des techniques de mise en œuvre28, laissé apparent, enduit, paré de briques, de pierre ou de marbres.
La systématisation de la construction en opus caementicium – associé à une main-d’œuvre servile issue de ses campagnes victorieuses, à commencer par les Guerres puniques – dressée plutôt que formée – permettra à la Rome antique de faire de l’architecture un art universel, alors qu’il était jusque là réservé à la construction des temples et des fortifications

Viollet-le-Duc, dans son Dictionnaire raisonné de l’architecture française du xie au xvie siècle, affirme que la profession telle que nous la connaissons ne s’est pas encore constituée: « Pour ne pas sortir de notre sujet, les corps de métiers attachés aux bâtiments se composaient, au xiiie siècle, des charpentiers, des maçons, des tailleurs de pierre, des plâtriers et morteliers, des imagiers, des peintres et tailleurs d’images (sculpteurs), des faiseurs de ponts. Quant aux maîtres des œuvres, à ce que nous appelons aujourd’hui des architectes, ils ne paraissent pas avoir jamais formé un corps; nous ne pouvons avoir même qu’une idée assez vague de la nature de leurs attributions jusqu’au xve siècle. Nous voyons qu’on les appelait dans les villes pour bâtir des édifices, et qu’on leur accordait des honoraires fixes pendant la durée du travail (voy. Architecte); mais présidaient-ils aux marchés passés avec les divers chefs d’ouvriers ? établissaient-ils des devis ? réglaient-ils les comptes ? Tout cela paraît douteux. Dès la fin du xiiie siècle, on voit des villes, des abbés ou des chapitres, passer des marchés avec les maîtres des divers corps d’état sans l’intervention de l’architecte. Celui-ci semble conserver une position indépendante et n’encourir aucune responsabilité; c’est un artiste, en un mot, qui fait exécuter son œuvre par des ouvriers n’ayant avec lui d’autres rapports que ceux de fournisseurs ou de tâcherons vis-à-vis un intendant général.

villardbuttressreims-2960299Croquis du Carnet de Villard de Honnecourt

Le système de régie n’était pas habituellement employé; les ouvriers de chaque métier travaillaient à leurs pièces; l’architecte distribuait la besogne, et un piqueur relevait probablement le travail de chacun. Sur la grande inscription sculptée à la base du portail méridional de la cathédrale de Paris, l’architecte Jean de Chelles est désigné sous le titre de tailleur de pierre, latomus. Robert de Luzarches, ainsi que ses successeurs, Thomas et Regnault de Cormont, prennent le titre de maîtres dans l’inscription du labyrinthe de la cathédrale d’Amiens. Il est certain qu’un maçon ou tailleur de pierre ne pouvait concevoir et faire exécuter les diverses parties d’un édifice à l’érection duquel le charpentier, le serrurier, le sculpteur, le menuisier, le verrier devaient concourir. Et dans l’architecture gothique, les divers membres de la construction et de la décoration sont trop intimement liés, pour que l’on puisse admettre un instant que chaque corps d’état pût agir isolément sans un chef suprême. Une des qualités les plus remarquables de cette architecture, c’est que tout est prévu, tout vient se poser à la place nécessaire et préparée. Il fallait donc une tête pour prévoir et donner des ordres en temps utile. Quoi qu’il en soit, si les corporations attachées aux bâtiments ont beaucoup travaillé pendant le moyen âge, si elles ont laissé des traces remarquables de leur habileté, au point de vue politique elles ne prennent pas l’importance de beaucoup d’autres corporations. On ne les voit guère se mêler dans les troubles des communes, réclamer une extension de privilèges, imposer des conditions, former ces puissantes coalitions qui inquiétèrent si longtemps la royauté3. » Des noms nous sont parvenus tels Erwin von Steinbach(1244 – 1318) sculpteur fondateur de la Cathédrale de Strasbourg. Les maîtres d’œuvre successif de la cathédrale Notre-Dame de Paris : Jehan de Chelles, Pierre de Montreuil, Pierre de Chelles, Jean Ravy, Jean le Bouteiller et Raymond du Temple.

Notre article sur :  Caractéristiques des entreprises artisanales

Villard de Honnecourt est un maître d’œuvre du xiiie siècle, célèbre pour son Carnet renfermant de nombreux croquis d’architecture, à présent conservé à la Bibliothèque nationale de France. Comme les compagnons de son temps, il fait son apprentissage en allant de ville en ville et de chantier en chantier. ►

Les ouvriers 

Pour Eugène Viollet-le-Duc vers 1860, « il est bien certain qu’au moyen âge, entre le maître de l’œuvre et l’ouvrier il n’y avait pas la distance immense qui sépare aujourd’hui l’architecte des derniers exécutants; ce n’était pas certes l’architecte qui se trouvait placé plus bas sur les degrés de l’échelle intellectuelle, mais bien l’ouvrier qui atteignait un degré supérieur. Pour ne parler que de la maçonnerie, la manière dont les tracés sont compris par les tailleurs de pierre, l’intelligence avec laquelle ils sont rendus, indique chez ceux-ci une connaissance de la géométrie descriptive, des pénétrations de plans, que nous avons grand-peine à trouver de notre temps chez les meilleurs appareilleurs. L’exécution matérielle des tailles atteint toujours une grande supériorité sur celle que nous obtenons en moyenne. Mais si nous allons chercher des corps de métiers plus relevés, comme par exemple les sculpteurs, les tailleurs d’ymages, il nous faut beaucoup d’années et des soins infinis pour former des ouvriers en état de rivaliser avec ceux du moyen âge. »

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Gothique rayonnant : chœur de la basilique Saint-Denis 1135

« Avant l’établissement régulier des corporations, vers le milieu du xiiie siècle, l’ouvrier était-il libre, comme celui de notre temps, ou faisait-il partie d’un corps, obéissant à des statuts, soumis à une sorte de juridiction exercée par ses pairs? Les marques de tâcherons que l’on trouve sur les pierres des parements de nos monuments du xiie siècle et du commencement du xiiie siècle, dans l’Île-de-France, le Soissonnais, le Beauvoisis; une partie de la Champagne, en Bourgogne et dans les provinces de l’Ouest, prouvent évidemment que les ouvriers tailleurs de pierre, au moins, n’étaient pas payés à la journée, mais à la tâche. Suivant le mode de construire de cette époque, les pierres des parements faisant rarement parpaing et n’étant que des carreaux d’une épaisseur à peu près égale, la maçonnerie de pierre se payait à tant la toise superficielle au maître de l’œuvre, et la pierre taillée, compris lits et joints, à tant la toise de même à l’ouvrier. Celui-ci marquait donc chaque morceau sur sa face nue afin que l’on pût estimer la valeur du travail qu’il avait fait. Il faut bien admettre alors que l’ouvrier était libre, c’est-à-dire qu’il pouvait faire plus ou moins de travail, se faire embaucher ou se retirer du chantier comme cela se pratique aujourd’hui. Mais vers le milieu du xiiie siècle, lorsque les règlements d’Étienne Boileau furent mis en vigueur, ce mode de travail dut être modifié.

Les ouvriers durent d’abord se soumettre aux statuts de la corporation dont ils faisaient partie; le salaire fut réglé par les maîtrises, et chaque affilié ne pouvant avoir qu’un, deux ou trois apprentis sous ses ordres, devenait ainsi, vis-à-vis le maître de l’œuvre, ce que nous appelons aujourd’hui le compagnon, ayant avec lui un ou plusieurs garçons.

256px-gothicrayonnantrose003-8892234Rose de la façade nord, cathédrale Notre-Dame de Paris 1163

Alors le salaire se régla par journées de compagnon et d’aide, et chaque compagnon devenait ainsi comme une fraction d’entrepreneur concourant à l’entreprise générale, au moyen d’un salaire convenu et réglé pour telle ou telle partie. Aussi les marques de tâcherons ne se voient plus sur nos monuments des provinces du domaine royal à dater du milieu du xiiie siècle.
Le maître de l’œuvre, chargé de la conception et de la direction de l’ouvrage, se trouvait en même temps le répartiteur des salaires, faisant, comme nous dirions aujourd’hui, soumissionner telle partie, telle voûte, tel pilier, tel portion de muraille par tel et tel compagnon. C’est ce qui explique, dans un même édifice, ces différences d’exécution que l’on remarque d’un pilier, d’une voûte, d’une travée à l’autre, certaines variations dans les profils, etc. Les matériaux étant fournis par celui qui faisait bâtir, ils étaient livrés à chacun de ces compagnons après avoir été tracés par le maître de l’œuvre, car le maître de l’œuvre était forcément appareilleur1. Le système de construction admis par les architectes du Moyen Âge les obligeait à se mettre en rapport direct avec les ouvriers. Et encore aujourd’hui ne peut-on procéder autrement quand on veut l’appliquer. Il résultait naturellement de ces rapports continuels entre l’ordonnateur et l’exécutant un cachet d’art très-fortement empreint sur les moindres parties de l’œuvre, comme l’expression d’une même pensée entre l’esprit qui combinait et la main qui exécutait. »

Les bénévoles
Les moyens ordinaires de l’art et de l’industrie n’auraient jamais suffi pour exécuter de pareilles merveilles : la foi y suppléait. Les populations ne s’intéressaient à aucune chose autant qu’à la construction de leur église; tous les âges et tous les sexes concouraient avec la même ardeur, de leur argent ou de leurs bras, à l’œuvre commune. Chartres fut, dans l’ouest de la France, la première ville dont la cathédrale ait été construite ainsi par le zèle spontané des fidèles.

Les Corporations

Le plus ancien acte d’organisation pour les maçons en France fait partie du Livre des métiers d’Étienne Boileau, rédigé en 1268; nommé Prévôt de Paris par le roi Louis IX: Il est question « Des Maçons, Tailleurs de pierre, les Plastriers et des Mortelliers33 » (fabricants d’auges de pierre qu’on appelle mortiers et ensuite celui qui brise certaines pierres dures pour en faire du ciment34, le terme mortier désigne de la manière l’auge du maçon et son contenu). Les maçons et les plâtriers devaient le guet et la taille; mais les mortelliers ainsi que les tailleurs de pierre étaient dispensé du guet, dès le temps de Charles Martel, suivant la tradition que constatent les statuts. Leur juridiction était dès lors dans l’enclos du palais, elle était connue sous le nom de maçonnerie. « Au temps de la féodalité, le rôle de la corporation fut de protéger ses membres dans une société où la force faisait seule le droit. Un individu isolé, sans nom, n’ayant d’autre fortune que le travail de ses mains, aurait succombé ; une société pouvait résister. Séparés, les gens de métiers seraient sans doute demeurés dans une condition analogue à celle des paysans cultivateurs ; unis, ils devinrent les bourgeois des communes et des bonnes villes. La corporation fut le premier degré de l’émancipation du tiers état, le germe de ses libertés politiques. Le forgeron commença à s’unir au forgeron son voisin, à lui prêter secours dans l’occasion, à régler à l’amiable avec lui les petits différends que faisaient naître leurs relations journalières, et dans lesquels n’aurait pu intervenir la justice brutale du seigneur. Ainsi se formèrent de toutes parts, dans l’intérêt de la défense mutuelle, des groupes d’hommes de la même profession; ils eurent bientôt des chefs, des assemblées. La corporation se constitua, précédant la commune, parce qu’elle était d’un besoin plus immédiat et d’une organisation plus simple; survivant à sa destruction, parce qu’elle portait moins ombrage à des pouvoirs rivaux, et que d’ailleurs l’artisan y était plus étroitement attaché. À l’époque de la guerre de Cent Ans, lorsque la misère dépeuplait les villes, ce fut encore autour de la corporation que se serrèrent les derniers artisans, sous son abri qu’ils passèrent leurs plus mauvais jours et qu’ils trouvèrent la force et la protection nécessaires pour reprendre leurs travaux. La corporation sauva peut-être l’industrie d’une ruine complète au xve siècle, comme elle lui avait permis de naître et de se développer au xiiie siècle. » Défense mutuelle de ses membres, garantie des pratiques des meilleurs procédés de fabrication, protection contre la fraude, « on ne saurait méconnaître les services rendus au moyen âge par la corporation : elle a été la tutrice et la sauvegarde de l’industrie naissante, et elle a enseigné au peuple à se gouverner par lui-même36. » « Elle a fait plus : elle a donné aux riches artisans des dignités, aux pauvres des secours d’argent, à tous les joies de la camaraderie dans ses fêtes et ses banquets; pendant tout le moyen âge, elle a été, avec le christianisme et les communes, la grande affaire des petites gens, la source de leurs plaisirs et l’intérêt de toute leur vie. Mais que d’abus, que de maux compensent ces bienfaits! L’égoïsme était un des vices dominants de la corporation. Les artisans qui s’associaient pour se protéger contre la violence devenaient à leur tour violents et injustes. Ils faisaient du titre de membre de la corporation, et par suite du droit de travailler, une sorte de privilège qu’ils se réservaient autant que possible pour eux et pour leurs enfants, et dont ils cherchaient à rendre l’acquisition coûteuse et pénible, quelquefois même impossible à tout aspirant étranger. Ils imaginèrent les longs apprentissages, le nombre restreint des apprentis, le chef-d’œuvre, et des droits divers qu’ils rendirent toujours plus onéreux avec le temps. Dans certaines communautés, le nombre des réceptions annuelles, dans d’autres le nombre des maîtres exerçant le métier, était fixé par les règlements. La plus grande partie des jeunes gens se trouvaient ainsi exclus souvent des professions pour lesquelles ils auraient eu le plus de goût et le plus de talent; ceux même qui étaient parvenus à se faire compagnons n’arrivaient qu’en très-petit nombre à la maîtrise, et étaient condamnés à passer leur vie dans une condition inférieure. (…) Utile dans un temps où les lois générales de la société ne suffisent pas à protéger la personne de l’artisan, la corporation devenait nuisible dès qu’elle n’était plus indispensable36. »

Sans jamais manifester la volonté de les détruire, les rois successifs tentèrent mais sans y parvenir de les plier à leur volonté. Ce fut chose faite avec la Révolution française qui décida de la fin des corporations considérées comme un obstacle à la liberté du travail, du commerce et de l’industrie.

Le Compagnonnage s’affirme face aux corporations.

L’apparition des premières sociétés compagnonniques se situe dans les derniers siècles du Moyen Âge et créera ses propres mythes. (L’appellation de « compagnonnage » ne sera prise qu’au xixe siècle). D’abord clandestin, le Tour de France du compagnonnage s’affirme de plus en plus comme la voie de promotion professionnelle et sociale. Les premiers ouvriers itinérants posent les fondations du compagnonnage désireux de s’émanciper des corporations et confréries. Les premiers métiers acceptés entre le commencement du xiiie siècle et la fin du xive siècle furent les tailleurs de pierre, les charpentiers, les menuisiers et les serruriers. Toutes les listes de préséance en circulation dans les divers Compagnonnages confirment l’ancienneté et la primauté de ces corporations anciennes établies en corps d’état qui couvrent les trois matériaux de base indispensables à toute construction : pierre, bois et fer. Sans pouvoir être daté de manière précise, le compagnonnage émerge à l’époque de l’histoire associant corporations, cathédrales et croisades. Les statuts du compagnonnage sont définis autour d’axes majeurs tels les usages et coutumes de métier, les obligations d’entraide et de solidarité, la formation professionnelle. Les notions de fidélité et de serment sont sacralisées, la discrétion à l’égard de tout étranger à la confrérie est soulignée. La philosophie du compagnonnage : la liberté et la possibilité de voyager de chantier en chantier, de ville en ville.

Les raisons historiques de l’émergence du compagnonnage se trouvent entre autres dans l’immobilisme des corporations. En 1298, le livre des métiers d’Étienne Boileau interdit pratiquement à tout ouvrier de voyager. S’il n’est pas fils ou gendre de maître, le Compagnon de la corporation ne peut espérer aucunement être maître à son tour de par les verrous et règles instaurés par la corporation : cérémonies, acquisition d’une boutique, matériel coûteux, ainsi que temps nécessaire à la composition du « chef-d’œuvre » soumis à l’approbation du maître de corporation. En voyageant librement, les compagnons du Devoir bravent l’ordre public et le pouvoir royal.

256px-hanging_houses_in_cuenca_spain-6477269Maison en Cuenca (Espagne) – XVe siècle.

 Renaissance italienne, Renaissance française et Architecture Renaissance.

La Renaissance est une période historique qui eut comme origine la Renaissance italienne. En effet la Renaissance naquit à Florence grâce aux artistes qui pouvaient y exprimer librement leur art : une Pré-Renaissance se produisit dans plusieurs villes d’Italie dès le xive siècle (Trecento), se propagea au xve siècle dans la plus grande partie de l’Italie, en Espagne, dans certaines enclaves d’Europe du Nord et d’Allemagne, sous la forme de ce que l’on appelle la première Renaissance (Quattrocento), puis gagna l’ensemble de l’Europe au xvie siècle (Cinquecento). Les états du centre et du nord de l’Italie, bien plus prospères, comptent parmi les plus riches d’Europe37. Les croisades ont tissé des liens commerciaux durables avec le Levant, et la quatrième croisade a éliminé l’Empire byzantin, rival commercial des Vénitiens et des Génois. Les principales routes de commerce venant de l’est traversent l’Empire byzantin ou les pays arabes et vont jusqu’aux ports de Gênes, Pise et Venise.

Une nouvelle classe dominante émerge, constituée de marchands qui gagnent leur situation par leurs compétences financières, adaptant à leur profit le modèle aristocratique féodal qui a dominé l’Europe au Moyen Âge. La montée en puissance des communes en Italie est une particularité du Moyen Âge tardif, celles-ci accaparant le pouvoir des évêques et des seigneurs locaux.

220px-santa_maria_del_fiore-9677649 Il Duomo. Filippo Brunelleschi1420

Les cités États d’Italie croissent énormément et gagnent en puissance, devenant de ce fait entièrement indépendantes du Saint-Empire romain germanique. Dans le même temps, les infrastructures commerciales modernes voient le jour : sociétés par actions, système bancaire international, marché des changes systématisé, assurance et dette publique. Florence devient le centre de cette industrie financière, propulsant le florin au statut de devise principale du commerce international.

256px-vatikan_szent_peter_kupola-8741886Michel-Ange Basilique Saint-Pierre 1546-1590

En France, à partir de Louis XII et de François Ier (à partir du début de son règne en 1515, correspondant à la bataille de Marignan), les guerres d’Italie font connaître la Renaissance italienne en France, avec un siècle de retard. Léonard de Vinci apporte en France le savoir-faire des artistes de la Renaissance italienne. La manifestation la plus évidente de la Renaissance en France est l’édification de châteaux résidentiels dans le Val de Loire ainsi qu’en Île-de-France. Les prémices sont constituées par des châteaux dans un style prérenaissance construits dans le Berry, près de Bourges (capitale du roi Charles VI, proche de l’actuelle route Jacques-Cœur), alors que le nord de la France n’est pas encore totalement remis des séquelles de la guerre de Cent Ans. François Ier fait appel à des artistes italiens pour la construction de ces châteaux : Chambord aurait été ainsi conçu par Domenico Bernabei da Cortona dit « Boccador ». Le château d’Ancy-le-Franc, lui, a été conçu par l’architecte italien Sebastiano Serlio non pour le roi mais pour un grand seigneur du royaume, Antoine III de Clermont, et ses salles sont ornées de fresques attribuées au Primatice et à d’autres peintres de l’École de Fontainebleau, ce qui témoigne de l’influence qu’ont eu les demeures royales, ici le château de Fontainebleau décoré par ces mêmes artistes, sur le goût de la haute société à partir du règne de François Ier.

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Mais peu à peu les architectes français commencent à s’approprier le nouveau style Renaissance : des architectes tels que Pierre Lescot et Philibert Delorme définissent les canons architecturaux de cette architecture qui dureront pour au moins 200 ans.

Sous le règne de Louis XIV

Colbert

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Le château de Versailles 1641-1710

Sous le contrôle de Louis XIV, Colbert s’active à donner une indépendance économique et financière à la France. La royauté absolue s’érige en tutrice des classes ouvrières, protège et réglemente le travail, crée des manufactures, anime les beaux-arts et les arts manuels, mais substitue trop souvent sa volonté à la liberté individuelle, et écrase l’industrie sous ses règlements et sous ses impôts24. Des encouragements et des pensions sont accordés à des artistes et à des savants français et étrangers. Les Gobelins deviennent, dès 1662, un vaste atelier où des peintres, des sculpteurs, des ciseleurs, des orfèvres, des ébénistes, des tapissiers, rivalisent pour orner les palais du Louvre, continuer le château de Fontainebleau, et agrandir le château de Versailles commencé. L’Académie royale de peinture et de sculpture, qui existait depuis 1648, reçoit des règlements meilleurs et les fonds nécessaires pour enseigner les beaux-arts ; des artistes sont envoyés à Rome aux frais du roi. L’Académie des inscriptions et médailles en fondée en 1663 ; celle d’architecture, en 1671. Surintendant des arts et des manufactures, il s’appliqua d’abord à étudier la situation du pays et celle du commerce en général. Il entretint une correspondance suivie avec les intendants, avec les maires, avec les ambassadeurs français résidant dans les pays manufacturiers : « Il vit et il entendit répéter que partout il existait des statuts de corporations et des règlements locaux, que partout ces règlements étaient assez mal observés, grâce à la négligence ou à la complicité des jurés, et que de là venaient le désordre et le dépérissement de l’industrie. Il vit que la France tirait de l’étranger beaucoup plus de marchandises qu’elle ne lui en envoyait ; que, malgré les manufactures de Tours et de Lyon, l’Italie lui fournissait toujours des soieries, des étoffes d’or et d’argent, de l’or filé ; que Venise lui enlevait chaque année plusieurs millions avec ses glaces et ses dentelles ; que l’Angleterre, la Hollande, l’Espagne, l’approvisionnaient de laines,de drogues, de teintures, de cuirs et de savons. Il vit qu’à l’intérieur du royaume le commerce des provinces entre elles était gêné et presque étouffé par les entraves des douanes; qu’à l’extérieur, les grandes compagnies et les colonies tentées par Richelieu étaient ruinées, que tout le commerce maritime de la France était encore aux mains des Anglais et des Hollandais. »

Colbert décide de copier les productions des États voisins pour rendre la France indépendante de leurs fournitures ; il n’hésite pas à débaucher des ouvriers étrangers pour former les ouvriers des manufactures françaises ; il utilise fréquemment l’octroi de monopoles, rétablit les anciennes manufactures, en crée de nouvelles. Il favorise ainsi la production de glaces, Manufacture royale de glaces de miroirs (composantes du futur groupe Saint-Gobain) et de tapis Les Gobelins.

Les corps de métier

Il ne supprime pas les corps de métiers. « Loin de là, dans ses règlements sur la teinture et sur la draperie, il les reconstituait fortement, comme une garantie de l’exécution des ordonnances ; il réglait l’élection annuelle des jurés, leurs assemblées, leurs visites dans les ateliers, les conditions de l’apprentissage, l’expérience, le chef-d’œuvre, la maîtrise. Sur cette matière comme sur beaucoup d’autres, Colbert n’avait pas la prétention de rompre avec le passé ; il en continuait et régularisait les institutions. Mais il continuait aussi l’œuvre de la royauté, en faisant tout partir d’elle et aboutir à elle. » « Le 23 mars 1673, il publia plusieurs édits qui (…)imposaient sur les métiers déjà constitués une taxe pour confirmation de leurs statuts et privilèges, et constituaient en communautés tous ceux qui ne l’avaient pas été jusque-là. Quatre artisans de chaque métier durent rédiger des projets de statuts dans les nouveaux corps et les soumettre à l’approbation des officiers royaux. Il y eut, comme on le pense bien, des résistances, des réclamations de la part des artisans auxquels on imposait des statuts et un impôt, et de la part des anciennes corporations qui redoutaient la rivalité des corporations nouvelles. Des provinces, telles que la Champagne, se rachetèrent à prix d’argent de cette servitude, et conservèrent, comme par le passé, la liberté de l’industrie.(…)Le nombre des corporations, qui était de soixante à Paris en 1672, fut de quatre-vingt-trois quelques mois après la publication de l’édit ; il s’élevait à cent vingt-neuf en 1691. » « Il réforma la juridiction, enleva aux juges féodaux la connaissance des procès des artisans, ordonna, pour plus de régularité et de promptitude, que les différends concernant les manufactures seraient jugés par le maire et les échevins de chaque ville, et le seraient sans avocat, sans frais d’épices et sans appel, quand la somme ne dépasserait pas cent cinquante livres. »

Les architectes affirment leur spécificité.

220px-boullc3a9e_-_projet_d27opc3a9ra_-_c3a9lc3a9vation-7006003 Étienne-Louis Boullée. Projet de reconstruction de l’Opéra de Paris, 1781.

Tout au long du xvie siècle, les architectes se battent pour affirmer la spécificité de leur rôle, pour faire admettre leur statut et leur place dans le processus de construction. Ils imposent une valorisation de leur rôle qui, en tant qu’intellectuels, les conduit à rejeter tout travail manuel, le considérant comme subalterne et méprisable. Les architectes éprouvent le désir de se démarquer de la corporation mais une fois la rupture accomplie, s’est imposée une nouvelle nécessité: le maintien et la défense de leurs privilèges et de leurs intérêts. En 1671, en France, sous l’instigation de Colbert, est créée de l’académie royale d’architecture. François Blondel est le premier à y professer un cours d’architecture: « S’il est donc quelque préférence, quelque prédilection attachée à une de nos connaissances, elle ne peut convenir qu’à celles qui, en devenant les plus utiles, supposent le plus de génie, de dignité, et annoncent le plus de magnificence. Si ce que nous avançons n’est pas sans fondement, on doit convenir de la supériorité que l’Architecture doit avoir sur tous les Arts. Nous ne répéterons point ce qui regarde son utilité, elle est incontestable. Mais nous sommes forcés de convenir que c’est un Art difficile, et qu’un bon Architecte, tel que nous l’entendons, ne peut être considéré comme un homme ordinaire. » Pendant la Renaissance, les architectes évoquaient dans l’ordre trois grands principes: solidité, commodité, décoration. Avec Blondel, le discours s’inverse, l’élément de décoration venant au premier plan.

Le xviie siècle va bâtir un décor stable. Les lois de la perspective régissent toute composition architecturale. L’architecte y est en premier lieu ordonnateur du point de vue. Dans cette architecture de décor, la perspective à point de vue central façonne la réalité construite. L’architecture est avant tout une chose dessinée. Fin xviiie siècle, chez des architectes comme Étienne-Louis Boullée, pour qui l’art de bâtir n’est que la partie technique de l’architecture, le dessin d’architecture se suffit à lui-même. Ce repli sur le dessin présenté comme le seul moyen d’expression restant aux architectes, est expliqué comme le fait remarquer Taffuri comme étant la conséquence d’une impossibilité d’une mise en projet concrète. Qui construit à l’époque? ce ne sont pas les architectes académiciens, mais les architectes-bourgeois et les entrepreneurs en bâtiment, grâce aux modèles architecturaux dominants.

La Révolution française

La suppression des corporations en France

En 1776, Turgot initiait le mouvement vers une économie plus libre en proposant un édit, qui prévoyait de supprimer les corvées, les maîtrises et les jurandes (autres noms des corporations). La nuit du 4 août 1789 l’Assemblée nationale de supprimer les privilèges et le 17 mars 1791, le Décret d’Allarde supprime les corporations et proclame ainsi le principe de liberté de commerce et d’industrie. Cela implique que, sous réserve du respect de l’ordre public institué par la loi, l’exercice des professions est désormais libre. Il peut toutefois, dans certains cas, être soumis à déclaration. L’optique de l’époque était de réagir contre le système extrêmement hiérarchisé des corporations et donc d’effacer tout aspect contraignant, toute rigidité, considérés comme contraire à la liberté du travail, du commerce et de l’industrie. Ainsi la Révolution française décide de la fin des corporations. Les droits d’accès au métier sont directement perçus par l’État sous le nom de patente. Le savoir-faire des corporations et leurs modèles sont mis dans le domaine public, tandis qu’une loi institue la propriété privée des brevets et fonde l’Institut national de la propriété industrielle.

Des corporations de droit public subsistent toutefois jusqu’à de nos jours, notamment celle des architecte.

Interdiction du « syndicalisme »

Dans un climat de défiance vis-à-vis des regroupements professionnels, la loi Le Chapelier est votée le 14 juin 1791. Cette loi, restée fameuse dans l’histoire du monde ouvrier, interdit toutes coalitions ou regroupements d’ouvriers sous peine de mort, on dirait syndicats de nos jours. La grève n’existe pas.

Saint-simonisme

Pour en finir avec les révolutions des xviiie et xixe siècles, les guerres, l’intolérance, l’égoïsme et l’Ancien Régime avec ses privilégiés, ses inégalités, ses injustices, son obscurantisme et son féodalisme, Saint Simon propose un changement de société. Il préconise une société fraternelle dont les membres les plus compétents (industriels, scientifiques, artistes, intellectuels, ingénieurs…) auraient pour tâche d’administrer la France le plus économiquement possible, afin d’en faire un pays prospère, où régneraient l’esprit d’entreprise, l’intérêt général et le bien commun, la liberté, l’égalité et la paix:
« Un industriel est un homme qui travaille à produire ou à mettre à la portée des différents membres de la société, un ou plusieurs moyens matériels de satisfaire leurs besoins ou leurs goûts physiques; ainsi, un cultivateur qui sème du blé, qui élève des volailles, des bestiaux, est un industriel ; un charron, un maréchal, un serrurier, un menuisier, sont des industriels; un fabricant de souliers, de chapeaux, de toiles, de draps, de cachemires, est également un industriel; un négociant, un roulier, un marin employé sur des vaisseaux marchands, sont des industriels. Tous les industriels réunis travaillent à produire et à mettre à la portée de tous les membres de la société, tous les moyens matériels de satisfaire leurs besoins ou leurs goûts physiques, et ils forment trois grandes classes qu’on appelle les cultivateurs, les fabricants et les négociants. (…)La classe industrielle doit occuper le premier rang, parce qu’elle est la plus importante de toutes; parce qu’elle peut se passer de toutes les autres, et qu’aucune autre ne peut se passer d’elle; parce qu’elle subsiste par ses propres forces, par ses travaux personnels. Les autres classes doivent travailler pour elle, parce qu’elles sont ses créatures, et qu’elle entretient leur existence; en un mot, tout se faisant par l’industrie, tout doit se faire pour elle »

Une construction traditionnelle

En 1767, on distingue douze sortes d’ouvriers servant à la construction des édifices41,35: l’Entrepreneur est celui qui se charge de la Conduite et de l’Exécution d’un Bâtiment, sur les Desseins de l’Architecte. Quelquefois l’Architecte lui-même devient Entrepreneur. l’appareilleur ne se mêle que des pierres de taille ; il en trace les Coupes aux Tailleurs de pierre, pour ensuite étant jointes, former les Voûtes, les colonnes; les Sculpteurs sont de deux sortes, en Pierre ou Marbre et en Bois. On distingue les sculpteurs en pierre qui font les ornements extérieurs, les moulures, agrafes, masques des sculpteurs en bois travaillent aux ornements des boiseries, coquilles, fleurs, guirlandes, etc. les tailleurs de Pierre donnent aux pierres de taille, les formes tracées par les appareilleurs; les maçons construisent les exécute les constructions en pierres naturelles ou artificielles, et les enduits eu mortier, les plafonds, etc.. Ils se répartissent en manœuvres et les garçons qui exécutent les parties du travail qui n’exigent guère que de la force; compagnons qui posent la pierre et font les enduits; maîtres-compagnons qui surveillent et dirigent plusieurs ouvriers dont ils assurent l’ensemble; le maître qui prépare les détails, dirige les hommes et surveille la nature aussi bien que l’emploi des choses, constituent les principaux éléments de la maçonnerie. Chacune de ces classes de travailleurs renferme une spécialité d’autant plus tranchée qu’elle s’éloigne davantage des deux extrêmes. Le maître se distingue, par la faculté de comprendre en même temps l’ensemble et les détails, l’unité et la variété, l’idée et son exécution, est un architecte, moins l’esprit d’invention peut-être. Les carreleurs emploient les carreaux, sur les planchers; les charpentiers construisent la charpente des toits, le bois des planchers, les cloisons, les grandes portes; les menuisiers font les parquets, les lambris, les croiséess; les vitriers taillent et posent le verre des croisées; les serruriers fournissent tout le fer des bâtiments, font les rampes d’escalier, grilles, balcons, serrures; les couvreurs lattent et couvrent les toits en ardoise, en tuile; les plombiers fournissent et posent le plomb des gouttières, terrasses, etc. Eugène Viollet-le-Duc s’exprime ainsi à propos du niveau d’instruction des ouvriers: « On s’occupe beaucoup des ouvriers depuis quelques années; on pense à assurer leur bien-être, à trouver des refuges pour leur vieillesse; le côté matériel de leur existence s’est sensiblement amélioré. Mais pour ce qui est du bâtiment, on ne s’est peut-être pas assez occupé de leur instruction, de relever la façon. Le système de la concurrence, qui certes présente de grands avantages, a aussi des inconvénients: il tend à avilir la main d’œuvre, à faire employer des hommes incapables de préférence à des hommes habiles, parce que les premiers acceptent des conditions de salaire inférieures, ou bien parce qu’ils font en moins de temps et plus mal, il est vrai, tel travail demandé. Ce n’est pas là un moyen propre à améliorer la situation morale de l’ouvrier. Les chantiers ouverts sur plusieurs points de la France pour la restauration de nos anciens édifices du moyen âge ont formé des pépinières d’exécutants habiles, parce que, dans ces chantiers, la perfection de la main-d’œuvre est une condition inhérente au travail. Tout cela est à considérer, mais ce qu’il faudrait, c’est un enseignement pour les ouvriers de bâtiments; le système des corporations n’existe plus, il serait nécessaire de le remplacer par un système d’enseignement appliqué. En attendant, les architectes, sur leurs chantiers, peuvent prendre une influence très-salutaire sur les ouvriers qu’ils emploient, s’ils veulent se donner la peine de s’occuper directement du travail qui leur est confié, et s’ils ne dédaignent pas de leur expliquer eux-mêmes les moyens les plus propres à obtenir une exécution parfaite3. »

Dans l’ « Encyclopédique de Roret » en 1859 les matériaux utilisés sont :

La pierre, le moellon, la meulière, le plâtre, les carreaux de plâtre, les platras, la chaux, les mortiers, les sables, les ciments, la pouzzolane, le pisé, l’argile, le salpêtre, la brique, les carreaux de terre cuite, les poteries, les marbres, les granits, les stucs, le grès, la craie, le blanc en bourre, la terre à four, le bois de chêne, le bois de sapin, le noyer, l’aulne, le tilleul, l’érable, le fer, la fonte de fer, l’acier, le plomb, l’étain, le zinc, le régule, le cuivre jaune, le cuivre rouge, la tuile de pays, la tuile de Bourgogne, la tuile d’Altkirch, le bitume-asphalte, les couleurs, les tissus de lin, de soie et de coton, les papiers de tenture, les verres à vitres, etc.

Date de dernière mise à jour : 05/07/2021