Représentation du personnel dans l’entreprise : les seuils sociaux en débat Pro web bâtiment

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Code du travail © Rozol

Les partenaires sociaux ont engagé le 9 octobre 2014 des négociations sur les seuils sociaux dont dépendent les règles à respecter en matière de représentation des salariés dans l’entreprise. Perçus comme un frein à l’embauche et à la croissance par les organisations patronales, les seuils sociaux fondent, pour les organisations syndicales, les droits des salariés et les conditions d’un dialogue social de qualité.

A la demande du Gouvernement, les partenaires sociaux ont engagé le 9 octobre 2014 des négociations sur « la qualité et l’efficacité du dialogue social dans les entreprises et à l’amélioration de la représentation des salariés ». La question des seuils sociaux dont dépendent les règles à respecter en matière de représentation des salariés dans l’entreprise, doit notamment être abordée.

La réforme des seuils sociaux a été réclamée de longue date par certaines organisations patronales, le débat a été récemment relancé par le gouvernement, dans l’objectif affiché de lutter contre le chômage. Interrogé par le Bien public le 29 mai 2014, le ministre en charge du travail, François Rebsamen, a proposé de geler les seuils de 11 et 50 salariés. Il s’agit de conserver le principe des seuils, à 11 salariés pour élire des délégués du personnel, à 50 pour créer un comité d’entreprise, mais de suspendre leur enclenchement pendant trois ans. Dans son discours de clôture de la Grande conférence sociale pour l’emploi des 7 et 8 juillet, le Premier ministre, Manuel Valls, a appelé les partenaires sociaux à engager des discussions sur la question de « la forme de représentation et de dialogue social la plus efficace ». Dans une interview accordée au Monde le 20 août, le président de la République, François Hollande, a fait part de son intention de légiférer sur la question dans le cas où les négociations échoueraient.

A l’ouverture des négociations, les positions des partenaires sociaux semblent difficilement conciliables : perçus comme un frein à l’embauche et à la compétitivité par les organisations patronales, les seuils sociaux fondent, pour les organisations syndicales, les droits des salariés et les conditions d’un dialogue de qualité.

Les seuils d’effectif : les règles en vigueur

Le dépassement de certains seuils d’effectif au sein d’une entreprise impose un certain nombre d’obligations à l’employeur. Il existe une quinzaine de seuils (10e, 11e, 20e, 25e, 50e salarié, etc.), déclenchant une centaine de règles (participation au financement de la formation professionnelle, mise en place d’instances représentative du personnel, modulation du taux de certaines cotisations sociales, respect d’un quota de personnes handicapées, élaboration d’un règlement intérieur, etc.).

En matière de dialogue social, les seuils de 11 et 50 salariés sont primordiaux. En effet, il n’existe pas d’obligations dans ce domaine pour les entreprises de moins de 11 salariés. A partir de 11 salariés, une entreprise doit organiser l’élection de délégués du personnel (DP). Le passage de 49 à 50 employés impose la création d’un comité d’entreprise (CE) et d’un comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT), ainsi que la mise en place d’un plan de sauvegarde de l’emploi en cas de licenciement économique (plus de 10 salariés sur 30 jours).

Récemment, les règles posées aux seuils de 11 et 50 salariés pour la représentation des salariés ont été assouplies : la loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi (dans son article 23) a modifié les délais accordés pour la tenue de l’élection des délégués du personnel (de 45 à 90 jours) et la mise en place d’un comité d’entreprise (fixation d’un délai d’un an), en cas de franchissement du seuil concerné.

Quel impact sur la taille des entreprises ?

Les comparaisons internationales montrent que la France se caractérise par une forte proportion de très petites entreprises et une plus faible proportion d’entreprises de taille moyenne. A titre d’exemple, les entreprises françaises sont en moyenne plus petites que les entreprises allemandes : une entreprise sur dix emploie plus de 10 salariés, contre une sur trois en Allemagne.

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Dans une étude publiée en 2011, l’Institut national de la statistique et des études économique (Insee) a mesuré le nombre d’entreprises autour des seuils de 10, 20 et 50 salariés en 2006, et évalué l’impact d’un lissage de ces seuils sur la taille des entreprises.

L’étude montre que les effets de seuil sur la répartition des entreprises par effectifs existent, mais qu’ils sont « à peine perceptibles ». En effet, on dénombre en 2006, seulement 1,3 fois plus d’entreprises de 9 salariés (29 000 entreprises) que d’entreprises de 10 salariés (22 000 entreprises), et 1,2 fois plus d’entreprises de 49 salariés que d’entreprises de 50 salariés.

L’étude révèle également que les effets globaux d’un lissage complet des seuils d’effectifs sont également « de faible ampleur ». En l’absence de seuils dans la législation, la proportion d’entreprises de moins de 10 salariés (92,62% des entreprises en 2005) diminuerait de 0,4 point, tandis que celle des entreprises de 10 à 19 salariés (3,87%) augmenterait de 0,2 point et celle de 20 à 249 salariés (2,35%) augmenterait de 1,2 point. Pour l’Insee, ces derniers résultats, obtenus à partir des données faisant apparaître les effets les plus marqués (données fiscales), confirment l’impact limité des seuils d’effectif sur la taille des entreprises.

L’Insee en conclut que les effets de seuil sont « loin de rendre compte » des différences de taille d’entreprises entre la France et l’Allemagne.

A l’aube de la négociation, les positions en présence

Pour le patronat, les seuils sociaux constituent un frein à l’embauche et les obligations qu’ils imposent, notamment en matière de représentation du personnel, doivent être allégées.

Le Medef a publié le 24 septembre 2014 une série de propositions destinées à « relancer la dynamique de création d’emplois en France », dans la quelle il suggère notamment de revoir les seuils d’effectif existants (nombre de seuils et obligations correspondantes). Pour le Medef, les seuils et obligations sont inadaptés. Plus particulièrement, les règles de représentation du personnel, notamment dans les PME de 100 salariés, constituent un élément « coûteux, paralysant », alors même que « le dialogue social n’y gagne rien ».

Selon la CGPME, « une entreprise qui passe de 49 à 50 salariés doit faire face à 35 obligations nouvelles et son coût du travail augmente de 4% », ce qui est de nature à décourager les entreprises à s’agrandir. La CGPME a proposé le 12 février 2014 des mesures pour alléger les règles relatives au dialogue social dans les entreprises de 50 salariés et plus. Il s’agit, d’une part, de fusionner les trois instances représentatives du personnel (délégués du personnel, CE, CHSCT) en une seule instance, dans les entreprises de 50 à 299 salariés compris. Et, d’autre part, de « simplifier les informations économiques, financières et sociales liées au fonctionnement des instances représentatives du personnel que le chef d’entreprise doit fournir ».

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Certains syndicats (CGT, FO) sont hostiles à un gel temporaire, ainsi qu’à tout allègement des seuils d’effectif. Ils contestent l’impact de ces seuils sur l’emploi et mettent en avant leur importance pour la représentation collective et les droits des salariés.

La CGT a proposé le 4 juillet 2014 plusieurs mesures pour l’amélioration du dialogue social. Tous les salariés devraient pouvoir élire un représentant du personnel dans leur proximité, y compris ceux employés dans une très petite entreprise (TPE) qui n’en ont pas la faculté actuellement. Les salariés devraient pouvoir bénéficier d’un droit d’expression direct et collectif sur leur travail, pris sur leur temps de travail ; leurs représentants devraient pouvoir disposer de droits d’intervention dans la stratégie de l’entreprise avec un droit de veto sur les licenciements.

Les autres syndicats (CFDT, CFTC, CFE-CGC) avaient initialement fait part de leur ouverture sur la question d’un gel temporaire des seuils sociaux. Néanmoins, la CFDT et la CFTC ont récemment souligné la nécessité de prendre en compte la situation des salariés des très petites entreprises qui ne disposent pas actuellement de représentation collective.

Dans un communiqué du 1er octobre 2014, la CFDT a indiqué qu’un « dialogue social de qualité est un atout pour la compétitivité des entreprises ». Elle propose que « tous les salariés aient une représentation collective, que les procédures de consultation soient plus efficaces pour améliorer le dialogue et que le parcours des militants soit valorisé ».

Dans une interview diffusée sur BFMTV le 24 septembre 2014, la CFTC a indiqué qu’elle souhaite que soient abordées la question de la représentation des salariés des TPE, de la formation des délégués du personnel et de la protection du parcours professionnel des syndiqués et délégués. La CFTC propose de revoir les premiers seuils d’effectif : dans les entreprises de 1 à 19 salariés une représentation collective hors entreprise devrait être mise en place, la présence de délégués propres devrait être réservée aux entreprises comptant au moins 20 salariés.

La CFE-CGC a réaffirmé, dans une interview diffusée sur BFMTV le 2 septembre 2014, qu’elle aborderait la négociation sur les seuils sociaux « sans opposition dogmatique », considérant qu’il est nécessaire de faire « quelque chose pour les salariés et pour les entreprises ».

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Les partenaires sociaux ont jusqu’à la fin de l’année 2014 pour aboutir à un accord. Passé ce délai, le gouvernement légiférera, même sans accord.